Il y aura bientôt deux ans (c’était le 16 mars 2007), le journal Le Monde publiait un texte tout à fait fracassant intitulé « Pour une « littérature-monde » en français » qui se présentait comme un manifeste signé par quarante-quatre écrivains en faveur d’une langue française qui serait «libérée de son pacte exclusif avec la nation ». Parmi ces quarante-quatre, il y avait trois écrivains haïtiens, Dany Laferrière, Lyonel Trouillot et Gary Victor ; trois écrivains antillais, Maryse Condé, Édouard Glissant et Gisèle Pinaud ; des Canadiens francophones et anglophones convertis à la francophonie (Nancy Huston), plusieurs écrivains d’origine maghrébine et d’Afrique sub-saharienne, comme Tahar Ben Jelloun et Alain Mabanckou, et même des écrivains hexagonaux très connus (JMG Le Clézio, Prix Nobel 2008 et Erik Orsenna…). Deux mois après, en mai 2007, ce manifeste a donné lieu à la parution chez Gallimard du livre intitulé « Pour une littérature-monde » signé par Michel Le Bris et Jean Rouaud.

L’œuvre théorique d’Édouard Glissant en particulier son concept de « Tout-monde » a joué un rôle fondamental dans le titre et le contenu du manifeste pour une « littérature-monde » en français. Les signataires de ce manifeste ont voulu protester contre plusieurs choses : la littérature nombriliste franco-française presque fermée au monde extérieur, les connotations coloniales évoquées par le mot « francophonie », les ambiguïtés inévitables soulevées par la notion de littérature francophone qui, étymologiquement, devrait référer à toute littérature écrite en langue française, alors qu’en réalité, son utilisation renvoie à des œuvres écrites en français par des écrivains qui n’ont pas le français comme langue première. En conséquence, il existe une opposition quelque peu artificielle entre écrivains « francophones » et « écrivains français » et un manque d’intérêt des locuteurs français de l’Hexagone pour la francophonie.

Les écrivains signataires du manifeste sont partis d’un constat : la rentrée littéraire de l’automne 2006 a vu la consécration de plusieurs écrivains originaires d’horizons lointains mais écrivant tous en français (le prix Goncourt et le prix de l’Académie française à l’écrivain américain Jonathan Littell pour « Les Bienveillantes », le prix Femina à la Franco-canadienne Nancy Huston pour « Lignes de Faille », le prix Renaudot au Congolais Alain Mabanckou pour « Mémoires de Porc-épic », le Goncourt des lycéens à la Camerounaise Leonora Miano. Ces prix littéraires d’automne révèlent donc une vérité évidente : « Le centre, ce point depuis lequel était supposée rayonner une littérature franco-française, n’est plus le centre…Le centre …est désormais partout, aux quatre coins du monde. Fin de la francophonie. Et naissance d’une littérature-monde en français. » Cette littérature devrait refléter le vrai visage de la nation française, mosaïque moderne d’individus d’origine diverse : africaine, asiatique, européenne, maghrébine…Ils ont tous en commun la langue française, et une identité plurielle. « Littérature-monde parce que, à l’évidence multiples, diverses, sont aujourd’hui les littératures de langue françaises de par le monde, formant un vaste ensemble dont les ramifications enlacent plusieurs continents. Mais littérature-monde, aussi, parce que partout celles-ci nous disent le monde qui devant nous émerge, et ce faisant retrouvent après des décennies d’« interdit de la fiction » ce qui depuis toujours a été le fait des artistes, des romanciers, des créateurs : la tache de donner voix et visage à l’inconnu du monde – et à l’inconnu en nous. »

Deux ans après la parution de ce manifeste inoubliable, que reste-t-il de cette « révolution copernicienne », comme le disaient les signataires du manifeste du 17 mars 2007 ? Le centre est-il maintenant « désormais partout, aux quatre coins du monde? » A-t-on assisté à la fin de la francophonie ? A la naissance d’une littérature-monde en français ? Les réponses ne sont pas claires. Le prix Nobel de littérature 2008 a bien été accordé à l’écrivain français JMG Le Clézio (signataire du manifeste) dont l’œuvre littéraire s’est toujours caractérisée par un parti pris d’ouverture sur le monde et un refus du nombrilisme franco-français ; l’écrivain haïtien Dany Laferrière (signataire du manifeste) s’attache à narguer les tenants du confinement de l’imaginaire avec son dernier livre « Je suis un écrivain japonais » (Grasset, 2008). Mais il n’y a pas eu de texte créateur d’un « écrivain francophone » affirmant sa singularité à travers une œuvre littéraire qui ouvre de nouvelles voies romanesques et consacre la naissance d’une littérature-monde en français. Peut-être qu’il est encore trop tôt pour espérer l’émergence d’une telle œuvre. En attendant, la réflexion universitaire salutaire sur ce concept de littérature-monde en français se poursuit : l’université de l’État de Floride à Tallahassee organise cette semaine du 12 au 14 février une conférence internationale sur le sujet intitulée « Littérature-monde : New Wave or New Hype ». Au moins cinq des écrivains signataires du manifeste seront présents à cette conférence. Ce sera une excellente occasion de faire le point.

Contactez Hugues St.Fort à : Hugo274@aol.com

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