J’ai longtemps évité de discuter de politique haïtienne dans cette chronique hebdomadaire « Du côté de chez Hugues » que je tiens régulièrement depuis 2002 sur www.haitiantimes.com . Linguiste de formation mais passionné de littérature et de sciences humaines, j’ai consacré ma chronique à réfléchir sur la question des langues en Haïti et à travers le monde, aux problèmes généraux de société, à l’immigration haïtienne dans les grands pays d’accueil occidentaux, sur l’évolution de la littérature haïtienne, sur le cinéma, sans oublier ma passion des comptes rendus de livres de fiction et de non-fiction. J’ai évité de discuter de politique haïtienne en public à cause de son intrusion dans tous les interstices de la vie sociale haïtienne (même dans l’émigration) et surtout à cause des débordements auxquels elle donne lieu. En dernière analyse cependant, elle se réduit finalement à une réalité : l’obsession de devenir président d’Haïti ou d’occuper un poste officiel important dans un gouvernement. La politique, c’est l’obsession des Haïtiens. Presque tous, qu’ils vivent dans l’émigration (mais surtout la première génération, c’est-à-dire ceux qui sont nés en Haïti et ont émigré à l’âge adulte) ou qu’ils vivent dans le pays d’origine, ne rêvent que de se faire un nom dans la politique haïtienne ou devenir un jour président d’Haïti. Je n’ai jamais bien compris cette obsession à devenir président d’un pays où semblent se concentrer tous les problèmes qui minent l’ensemble des pays sous-développés. Ont-ils jamais pensé aux énormes difficultés qui les attendent ? Si oui, comment comptent-ils les résoudre ?

La plupart de mes compatriotes qui veulent devenir présidents n’ont jamais révélé même à un niveau minimum des qualités fondamentales qui pourraient favoriser tant soit peu un environnement propice à créer de la croissance économique, une éducation appropriée aux besoins du pays, un système de santé convenable, une agriculture débarrassée des outils dont on se servait à l’époque coloniale, un système de justice efficace et une capacité à gérer les ressources humaines du pays. Presque tous n’ont fait que jouer sur la fibre populiste et démagogique et ont vite fait de se débarrasser brutalement de toute opposition. Est-ce parce que parler de politique est plus facile que s’attaquer courageusement aux problèmes réels du pays ? Est-ce parce que faire de la politique en Haïti est le raccourci le plus facile pour s’enrichir puisque l’État haïtien a toujours été le plus gros employeur de la société haïtienne continuellement en état de chômage.

Dans la tradition occidentale d’explication des relations sociales, « l’homme est un loup pour l’homme » (Hobbes). La violence caractérise donc les sociétés humaines qui doivent avoir recours à un État dont le pouvoir illimité permettra aux hommes de vivre ensemble en société. La politique est donc tout ce qui relève de la capacité d’un État à gérer, organiser, et conduire un gouvernement. Mais l’État acquiert ainsi le monopole de la violence physique établie par un ordre juridique qu’il contrôle également. La culture politique haïtienne et la perception du pouvoir par la collectivité haïtienne ont longtemps été le reflet brut et fidèle de ce schéma de base de la politique en Haïti. Le terme créole « Leta » signifie exactement ce schéma de base qu’on trouve dans l’expression « Ou fè sa w vle, ou se Leta ». C’est pour cela aussi que certains Haïtiens pensent qu’ils peuvent piller sans vergogne les caisses de l’État.

Il est incroyable que le séisme du 12 janvier 2010 n’ait rien enseigné à la classe politique haïtienne. Car finalement, s’il n’a pas réussi à le faire, qui ou qu’est-ce qui réalisera ce tour de force ? Arriverons-nous jamais à défendre ensemble un projet commun, celui de lutter tous ensemble pour bâtir finalement une nation haïtienne qui n’a jamais existé qu’à travers des discours creux et démagogiques ?
Rarement, le peuple haïtien a pu choisir librement ses dirigeants. Presque toujours, nos dirigeants nous ont été imposés par des forces extérieures avec le concours des élites haïtiennes accrochées à reproduire des structures économiques et sociales qui favorisent l’exclusion, les abus sociaux, la destruction physique de l’environnement haïtien, les préjugés de toutes sortes.

Les rares fois où un président haïtien a été élu légitimement, les forces extérieures et leurs relais intérieurs lui ont offert une opposition tellement scandaleuse, tellement hystérique qu’il a du avoir recours aux vieux démons du populisme destructeur qui assaillent certains chefs d’état dans ces circonstances et commettre les pires erreurs qui ont apparemment justifié son renversement.

D’une manière générale, sommes-nous en train d’assister en Haïti (depuis 1986 et la chute de la dictature de Duvalier) à une transition à la démocratie qui n’en finit plus ou alors est-ce que la longue tradition du despotisme haïtien (cf. Robert Fatton Jr. et son excellent livre, The Roots of Haitian Despotism, 2007) s’est tellement bien établie, a fait tellement corps avec les mentalités et les habitus de la population qu’il est devenu vain d’attendre quelque chose d’autre ? Tout le problème est là.

Aujourd’hui en cette fin d’année 2010, tout Haïtien qui suit l’histoire contemporaine d’Haïti sait que le prochain « vainqueur » de ces soi-disant élections est déjà choisi et que tout le reste n’est que de la poudre aux yeux. Les résultats du premier tour qui viennent d’être livrés au grand public ne font que confirmer la duplicité et le cynisme des maîtres du pouvoir en Haïti et de leurs alliés étrangers. En ce qui me concerne, je referme cette parenthèse que j’avais ouverte il y a deux ou trois semaines pour faire part de certaines réflexions publiques sur la politique haïtienne. Je n’y reviendrai plus, du moins pas en public. Je retourne à mon travail de départ, c’est-à-dire réfléchir sur le rôle du linguiste dans les sociétés créolophones.

Contacter Hugues St.Fort à : Hugo274@aol.com

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