L’un de mes plaisirs favoris du week-end est de lire l’édition du dimanche du New York Times. Je reçois le NYT à la maison le samedi et le dimanche car durant la semaine j’ai l’occasion de le lire sur mon lieu de travail. Mon quotidien favori est le Monde. Je le lis régulièrement depuis une trentaine d’années. D’abord, à l’époque où je vivais en France parce qu’il correspondait à la façon dont je conçois un quotidien, c’est-à-dire un mélange de faits et d’opinions, mais aussi parce que, francophone, je m’étais habitué à une langue et à une certaine manière de raisonner et de voir le monde. Même quand j’ai quitté la France pour venir habiter en Amérique, je n’ai pas abandonné le Monde. Au début de mon séjour ici à NY, j’ai conservé mes liens avec le Monde sous forme d’abonnement au Monde diplomatique et au Monde de l’éducation, puis, quand vint l’avènement du Web, je me fis un devoir de ne jamais me passer de la lecture du Monde quotidiennement.

Avec le NYTimes, c’est une autre histoire. D’apparence rébarbative à cause des petits caractères avec lesquels ses textes sont composés, et le côté sérieux, « intellectuel » de ses reportages ou de ses articles de fond, le NYT tranche radicalement par rapport aux deux autres grands quotidiens de la ville, le Daily News et le NY Post. Mais c’est tout de suite ce qui m’a plu au Times. Nouveau venu à l’époque à la culture américaine, j’ai tout de suite senti et décelé l’anti-intellectualisme commun chez la majorité des Américains. J’ai compris plus tard en lisant les érudits américains qui ont longtemps écrit sur le sujet que cet anti-intellectualisme représentait quelque chose de très américain. Je ne voulais pas sombrer dans cette attitude qui était aux antipodes de ma formation et de mes convictions et je me fis un plaisir de m’accrocher au Times. Même si je n’y ai pas retrouvé le sens critique et le progressisme chers au Monde, j’ai pu garder mes distances par rapport à la droite conservatrice et fondamentaliste qui s’affirmait de plus en plus aux États-unis sur la place publique.

Deux articles ont retenu mon attention dans l’édition de ce week-end. D’abord, dans la chronique « Essay », la dernière page du « Times Book Review », l’article de Jim Holt intitulé « Got Poetry ? » et puis dans la section « Week In Review », la chronique de Nicholas D. Kristof intitulée « Pregnant (Again) And Poor) ».

Dans son article, Jim Holt réfléchit sur un phénomène que les écoliers haïtiens (mais ils ne sont pas les seuls) pratiquent depuis toujours : l’apprentissage par cœur. Cependant, son texte se réfère spécifiquement à la mémorisation de poèmes. Pour lui … « learning poetry by heart [is] all about pleasure. And it’s a cheap pleasure. » (apprendre la poésie par cœur, c’est du plaisir pur et simple. Et c’est un plaisir à bon marché. (ma traduction). Je n’ai jamais été durant mes dix-sept années d’écolier en Haïti un fervent pratiquant de la mémorisation. Cependant, mon amour de la littérature m’a porté à apprendre par cœur plusieurs textes poétiques d’auteurs français et haïtiens. Je crois que je peux encore réciter (grâce à Roger Gaillard, mon ancien professeur de littérature française) la célèbre défense d’Hippolyte (dans Phèdre, la fameuse pièce de Racine) face à son père Thésée qui l’avait accusé d’avoir essayé de violer Phèdre, sa femme (Ah, ce superbe alexandrin monosyllabique : Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur). Sans parler de textes de Baudelaire, de Verlaine, de Rimbaud ou d’Aragon et d’Apollinaire (ah, Le Pont Mirabeau !) et de Depestre ou de Roumer. Je connais très peu de poèmes et de poètes. Américains. Celui que je cite le plus souvent est cet extraordinaire poème de Rita Dove, la grande poétesse noire américaine auteure de « Parsley », ce bouleversant poème sur le massacre d’une dizaine de milliers d’Haïtiens en 1937 près de la frontière haïtiano-dominicaine par l’armée du dictateur raciste dominicain Raphael Trujillo.

Jim Holt nous met en garde cependant contre les prétendus avantages de la mémorisation. « One should be skeptical, though, of some of the alleged advantages cited by champions of poetry memorization. “I wonder if anyone who has memorized a lot of poetry…can fail to write coherent sentences and paragraphs,” Robert Pinsky once said. (On devrait se méfier cependant des prétendus avantages cités par les champions de la mémorisation de poèmes. « Je me demande si quelqu’un qui a mémorisé un nombre important de poèmes peut ne pas être capable d’écrire des phrases et des paragraphes cohérents » a dit une fois le poète-lauréat américain Robert Pinsky) (ma traduction).

L’autre article qui a attiré mon attention dans l’édition du week-end du NYT est celui de Nicholas D. Kristof. Kristof est avec Paul Krugman et Bob Herbert mes trois chroniqueurs préférés au Times. Il mène depuis des années dans sa chronique une lutte implacable contre la tuerie qui se perpétue au Darfour. Récemment, il a été en Haïti et sa chronique de dimanche est consacrée au problème du contrôle des naissances en Haïti comme l’un des moyens de combattre la pauvreté. Il raconte l’histoire d’une jeune Haïtienne de trente ans, Nahomie Nercure qui vit à Cité Soleil dans une hutte louée pour $ 6.00 le mois avec 10 enfants qui peuvent à peine aller à l’école. Elle est consciente de la nécessité d’utiliser des moyens contraceptifs afin d’avoir moins d’enfants mais les résistances de ses hommes à utiliser des préservatifs ou autres formes de contraceptifs ont chaque fois raison d’elle et elle tombe enceinte. Kristof cite le cas d’Haïti mais notre pays est loin de représenter le seul exemple de ce phénomène. Il dit cette réflexion éloquente: « It is sometimes said that the best contraceptive isn’t the pill or the IUD, but educatiion for girls. » (On dit parfois que le meilleur contraceptif anticonceptionnel n’est pas la pilule ou le DIU, mais l’éducation des filles) (ma traduction). J’ajouterai pour ma part : et celle des garçons aussi.

Contactez Hugues St. Fort à : Hugo274@aol.com

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