L’année 2009 touche à sa fin et s’est montrée exceptionnellement généreuse envers certains écrivains haïtiens. Dans les pages qui suivent, je ferai de brefs commentaires sur les dix ouvrages écrits par des Haïtiens et des étrangers qui m’ont le plus marqué en 2009.
1. L’énigme du retour, roman.
Par Dany Laferrière, Paris, Grasset, 2009.
Prix Médicis 2009, ce roman est peut-être le meilleur de Dany Laferrière qui semble avoir tourné le dos pour de bon à « l’autobiographie américaine » qu’il s’est patiemment construite entre 1985 et la fin des années 1990. L’écriture est nouvelle, la thématique du retour et l’ombre d’Aimé Césaire (Cahier d’un retour au pays natal), l’attachement à la famille, mais surtout la pauvreté, la violence, la corruption qui gangrènent cette société impassible, font de ce roman une œuvre à plusieurs dimensions. La poésie y coule à flots et on sort de ce livre, « fourbu », « courbé », étourdi.
2. Trois femmes puissantes, roman.
Par Marie Ndiaye, Paris, Gallimard.
Prix Femina en 2001 et prix Goncourt 2009 pour Trois femmes puissantes, Marie Ndiaye est un véritable phénomène littéraire. Née en France de père sénégalais et de mère française, c’est une forte tête qui ne craint pas la controverse puisqu’elle a déclaré en 2007 qu’elle trouve la France de Sarkozy « monstrueuse » et « vulgaire ». En conséquence, elle quitte la France pour aller vivre à Berlin avec son mari et ses enfants. L’immigration et les humiliations qu’elle entraîne constituent l’un des thèmes forts de son roman, beau, violent et inoubliable. Les trois dernières pages consacrées à la description de l’assassinat d’une immigrée africaine qui avait finalement atteint les rives d’un pays européen restent une mise en accusation terrible de l’Occident et de la répression sauvage du flux migratoire en provenance du Sud.
3. La couleur de l’aube, roman.
Par Yanick Lahens, Paris, Sabine Wespieser, éditeur, 2008.
Yannick Lahens nous livre dans ce roman toute sa connaissance du réel haïtien mais surtout, ce qu’on peut faire avec cette connaissance quand on est écrivain. Quand on aime la littérature, lire Yanick Lahens est un régal et ce roman exprime sans doute l’art de Lahens dans tout son éclat. En alternant subtilement le point de vue du personnage et celui du narrateur, le roman donne l’impression de mélanger la représentation de perceptions et la représentation de réflexions. La couleur de l’aube a obtenu le prix RFO et le mérite amplement.
4. Yanvalou pour Charlie, roman.
Par Lyonel Trouillot, Actes Sud / Leméac, 2009.
Yanvalou pour Charlie a obtenu le prix Wepler-Fondation La Poste en 2009. C’est une lecture atroce de la dure réalité sociale contemporaine d’Haïti. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’il n’en a pas l’air du tout avec ses airs voulus par l’auteur de thriller raté et de roman d’amour mal ficelé. La description de la migration interne qui défigure une capitale dont on a peine à dire que c’en est une, les problèmes de conflit de classe sociale qui traversent tout le livre, de petites allusions à la question de couleur là ou on ne l’attendait pas, et surtout la description de la précarité de l’existence des gosses de rue à Port-au-Prince dont la galère poignante nous tient à la gorge font de ce roman l’un des meilleurs de l’année. Littérature et sciences humaines font toujours bon ménage dans mon esprit interdisciplinaire et je considère ce roman comme le compagnon littéraire de ce livre superbe de l’anthropologue américain J. Christopher Kovats-Bernat « Sleeping Rough in Port-au-Prince » An Ethnography of Street Children and Violence in Haïti. » University Press of Florida, 2006.
5. Epi oun jou konsa tèt pastè Bab pati, récit.
Par Louis-Philippe Dalembert, Presses nationales, 2008.
Ce premier roman d’expression créole de Louis-Philippe Dalembert, auteur francophone à succès, rejoint d’autres thématiques déjà présentes dans l’œuvre littéraire de l’auteur, en particulier le retour à l’enfance et ses états d’âme. Mais ici, le romancier oppose clairement deux mondes : le monde des petits et celui des grands, ces derniers n’étant pas finalement des adultes au sens plein du terme puisqu’ils ne sont que de grands adolescents. Dans un certain sens, le roman de Dalembert pourrait passer pour un roman comique tellement les passages hilarants y abondent. Mais, c’est un comique pathétique quand on suit la lente mais prévisible descente vers la folie de Pastè Bab affublé de tous les noms par ses pairs dans le quartier où il vient d’emménager, affligé par la solitude, découragé par ses « frères » protestants, trahi finalement par une « sœur » protestante dont il était tombé amoureux.
6. Red and Black in Haiti. Radicalism, Conflict, and Political Change, 1934-1957.
Par Matthew J. Smith. The University of North Carolina Press, Chapel Hill, 2009.
Dans ce livre, Matthew J. Smith, professeur d’histoire à l’université des Antilles à Mona, à la Jamaïque, explore une des périodes les moins connues de l’histoire moderne d’Haïti : la période de la « post-occupation » américaine, entre 1934 et 1957. Pour lui, cette période marque « le début d’un long et intense conflit politique et idéologique qui culminera en 1957 avec l’une des plus brutales dictatures jamais organisées dans les Caraïbes : le régime de François « Papa Doc » Duvalier. » Smith analyse avec une maestria sans pareille des questions fondamentales de l’histoire contemporaine d’Haïti : la révolution haïtienne de 1946, la question de couleur sous les présidences de Vincent et Lescot, l’idéologie du Noirisme, le pouvoir et la domination des militaires, la tendance des autorités américaines à qualifier de « communiste » toute résistance nationale haïtienne. On ne peut pas comprendre Duvalier, Aristide et l’interminable sortie de crise de 1986 à nos jours sans lire cette étude du professeur Smith. A lire absolument.
7. Faith makes us live. Surviving and Thriving in the Haitian Diaspora.
Par Margarita A. Mooney. University Of California Press, 2009.
Je regrette que ce livre ne connaisse pas le rayonnement et la publicité qu’il aurait du avoir car c’est un livre fondamental pour tous ceux qui s’intéressent à la diaspora haïtienne dans les lieux principaux où elle s’est établie : Miami, Montréal et Paris. La foi chrétienne n’est certainement pas mon fort mais la recherche du professeur Mooney servira de modèle à tous les chercheurs désireux de comprendre le rôle de la religion dans les processus sociaux de l’adaptation des immigrants dans les sociétés d’accueil.
8. Pwoblèm pawòl klè nan lang kreyòl.
Par Lemèt Zefi. Éditions de l’Université d’État d’Haïti. Port-au-Prince, 2008.
Dans ce livre, Lemèt Zefi, professeur de linguistique et de traduction à l’Université d’État d’Haïti, pose les questions suivantes : dans la foulée des avancées profondes de la langue créole dans tous les usages sociaux en Haïti, surtout dans les usages formels, comment parlent les locuteurs haïtiens bilingues ? Dans quelle mesure la masse des créolophones unilingues haïtiens comprend-elle cette variété de créole qui ne correspond pas forcément à la variété qu’elle a l’habitude d’entendre et de pratiquer quotidiennement ? La langue créole dans laquelle ce livre est écrit est claire, moderne et scientifique. Lemèt Zefi possède une bonne érudition linguistique et sait conduire une recherche.
9. L’arbre de l’oubli (The oblivion tree)
Film documentaire en DVD
Réalisé par Norluck Dorlange, 2h02
Anglais et français.
Dans ce film documentaire d’une excellente qualité, Norluck Dorlange se propose de rétablir dans l’histoire haïtienne la composante africaine qu’on a plus ou moins occultée. Nous ne savons pratiquement rien ou très peu de l’Afrique et de la place que ce continent joue dans notre passé, notre histoire et la présentation de nous-mêmes. L’arbre de l’oubli est le type de film destiné à susciter un grand nombre de questions autour de l ’Histoire telle qu’elle est enseignée non seulement chez nous mais aussi dans les grandes institutions scolaires et universitaires de l’étranger. A se procurer absolument.
10. Pawòl kreyòl. Revi literè Sosyete Koukouy. Men Nou !
Volim 1 : Nimewo 1. Oktòb 2009.
Cette revue littéraire d’excellente facture de la Société Koukouy est une première dans l’émigration nord-américaine et on ne peut que féliciter les membres de cette association pour leur endurance, leur ténacité et leur détermination à donner à la langue créole la place qui lui revient dans la communauté linguistique haïtienne. La plupart des textes qui figurent dans cette revue sont de bonne qualité et couvrent les sujets les plus variés : linguistique, sciences dures, lexicographie, littérature, etc. Ceux qui se plaignent de l’impossibilité d’acquérir un savoir en langue créole trouveront ici un démenti formel. A se procurer absolument !
Contacter Hugues St. Fort à : Hugo274@aol.com