Dany Laferrière
Bernard Grasset, Paris, 2009
Les éditions du Boréal, Canada, 2009
Trouver le mot de l’énigme
Peut-être plus que la thématique du retour présente chez certains écrivains haïtiens de la première génération vivant au Québec (Phelps, Ollivier…), c’est l’écriture de l’énigme du retour (Prix Médicis 2009) qui consacre ce roman de Dany Laferrière comme le plus tendre et le plus bouleversant de la quinzaine de romans qu’il a écrits jusqu’ici. D’abord, la forme narrative : la composition du roman tient d’un mélange de vers évoquant un haïku – mais qui ne l’est pas vraiment – et superposant des textes écrits en prose. Est-ce à dire qu’il se ressent encore de son aventure japonaise qui faisait le thème de son précédent roman « Je suis un écrivain japonais » ? Dany Laferrière qui a toujours tourné le dos dans ses textes littéraires à la grandiloquence chère à une partie de ses compatriotes d’origine nous donne une véritable leçon de simplicité. Mais une simplicité qui prend à la gorge le lecteur qui connaît les réalités haïtiennes :
Être sur une île déboisée
en sachant qu’on ne verra
jamais ce qui se passe
de l’autre côté de la mer.
Pour la majorité des gens d’ici
l’au-delà est le seul pays
qu’ils espèrent visiter un jour.
Ou qui est resté un éternel romantique, un nostalgique endurci.
Et l’exil du temps est plus impitoyable
que celui de l’espace.
Mon enfance
me manque plus cruellement
que mon pays.
Cahier d’un retour au pays natal, (1956) le fameux recueil d’Aimé Césaire, peut être considéré comme le texte précurseur de la thématique du retour chez les anciens colonisés. Depuis, la mémoire coloniale a fait place à la dure réalité existentielle des « nouveaux immigrants » qui sont obligés de trimer dans toutes les capitales occidentales. Malgré les nouvelles situations transnationales qui placent les immigrants d’aujourd’hui à cheval entre la société d’accueil et la société d’origine, le retour au pays natal demeure une obsession pour certains. Pourtant, Dany Laferrière confie à son grand ami l’écrivain et éditeur à succès, Rodney Saint-Eloi : « Ce livre n’est pas un retour. Il n’y a pas de retour en Haïti puisque je n’ai jamais quitté ce pays…Ce pays m’habite. J’en ai parlé sur tous les tons…Ce n’est pas le retour, j’ai déjà décrit un retour dans Pays sans chapeau. Cette fois, c’est l’exil, la figure du père et aussi un voyage presque mystique au cœur du pays natal. » Pourtant, quoiqu’il en dise, il ne peut s’empêcher de se replonger dans ce pays, de jouir de tous ces petits riens qui lui ont manqué si longtemps et de se lamenter de ces réalités atroces. Il observe la corruption et ses mécanismes dans tous ses détails ; il demande aux corrompus et aux exploiteurs « Pourquoi rester dans cette boue mêlée de merde où patauge une foule cernée par des anophèles gorgés de malaria quand on peut mener une vie de rêve ailleurs ? » (p. 126) La réponse : parce que c’est le lieu où ils font leurs millions sur le dos des masses populaires, millions qu’ils vont ensuite dépenser « chez Bocuse ou à la Scala. » (p. 132). Pour les autres qui ne peuvent pas laisser le pays, c’est la mort à petits feux.
L’énigme du retour, c’est le contraste qui existe entre l’obsession ou la présence tenace chez le narrateur de son quartier, son enfance, ses intimes, durant son expérience à l’étranger et le désespoir, la misère, le dégoût qui l’assaillent quand il est de retour. Voilà pourquoi ce livre est le plus désespérant des romans de Laferrière. Rien ne peut le consoler. Même son humour légendaire est tamisé. Son ironie ne passe pas. Le narrateur se balance entre une rage impossible, une gravité contenue par une tendresse légère, et la déception concrète du retour. Peu de séquences sont aussi explicatives que le chapitre intitulé Éloge de la diarrhée (p.184) où après avoir bu un jus de fruit du pays, « juste pour prouver qu’il était toujours l’enfant du pays », il contracta une diarrhée si violente qu’il a du garder sa chambre d’hôtel pendant un certain temps, « ne serait-ce que pour rester près de la salle de bains » (p. 187). Et il conclut, stoïque « Ma vie tourne autour d’un bol de toilettes. »
L’un des thèmes dominants de ce roman, c’est la présence obsédante de la faim partout où passe le narrateur. A l’église, au restaurant où il essaie de manger un petit plat tête baissée alors qu’un mendiant braque ses yeux sur lui, au cours de ses conversations avec l’écrivain haïtien Gary Victor, conversation qui se termine ainsi :
On peut rester imperturbable
face à sa propre faim mais que fait-on
quand c’est un enfant qui a faim
et qui vous tend la main comme
c’est arrivé ce matin près du marché ?
On lui donne quelques sous
tout en sachant que le problème
se reposera dans moins de trois heures.
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