Par Hugues St. Fort
J’ai lu quelque part dans la presse au cours de l’été que les New Yorkais sont ceux qui consultent le plus leur courriel dans tous les États-unis, devant les habitants de Houston, Chicago, Detroit et San Francisco. D’après le sondage qui a été à la base de cette découverte, le New Yorkais moyen consulte son courriel personnel 4 fois par jour et son courriel de travail au moins 3 fois durant le week-end. Il se dégage de ce sondage que le New Yorkais moyen ne peut plus se passer de son courriel. Il en est devenu un accro. Il le consulte partout : à l’église, dans les toilettes, au lit, au restaurant, à l’hôpital et même au cours de funérailles. Même le fait d’avoir un rendez-vous avec son copain ou sa copine ne le prive pas de consulter son courriel. Qu’y a-t-il donc de si captivant, de si accrochant dans le fait de recevoir du courriel ? Sommes-nous donc si seuls que nous sommes forcés de vérifier tout le temps si on pense à nous, et s’il n’est pas temps de rappeler aux autres que nous vivons encore et qu’il faut qu’on nous fasse signe. Le courriel serait donc ce mécanisme qui confirme cette vieille chanson de Bécaud : « La solitude, ça n’existe pas. »
Je suis un de ces New Yorkais qui ne peut se passer de son courriel. Je consulte le mien au moins 3 fois par jour : le matin avant d’aller au boulot, l’après-midi au retour du boulot quand je ne rentre pas autour de 23 :00 et le soir avant de me coucher. Je ne consulte jamais mon courriel au boulot. D’abord, j’ai trop à faire. Ensuite, j’ai toujours peur d’introduire un virus dans mon ordinateur personnel si j’y pénètre de l’extérieur. Cela m’est arrivé une fois et m’a causé de gros dégâts. Chat échaudé craint l’eau froide, dit-on.
Cette habitude de prendre son pied quand on reçoit des nouvelles remonte à l’époque de ma première année d’étudiant en France où je vivais en campus et avais encore le mal du pays. Recevoir du courrier constituait alors le plus intense moment de ma journée. Il m’arrivait parfois de rater le bus qui reliait le campus à la fac parce que je voulais attendre le facteur qui tardait à livrer ses lettres. La fièvre de l’attente, le plaisir d’ouvrir les enveloppes et d’en lire le contenu diminuèrent considérablement quand je commençai à me faire des amis et des copines sur le campus et surtout quand je laissai Besançon pour monter à Paris. Je pris goût aux multiples activités et à la vie trépidante qu’on peut mener à Paris, et recevoir du courrier quotidien ne constitua plus pour moi une obsession.
En quoi, dans mon cas au moins, recevoir du courriel aujourd’hui et en tirer du plaisir peut-il se comparer au plaisir et à la fébrilité de recevoir du courrier au temps de mes années d’étudiant ? Tout d’abord, je pense que les sentiments sont quelque peu différents. Je venais à peine de sortir de l’adolescence à l’époque de mes années d’étudiant. Je gardais encore mes réactions d’insulaire, pas encore tout à fait prêt pour le grand monde et mon île était tout pour moi. Bien des années ont passé maintenant. Je suis plus prêt de la retraite que de l’entrée dans la vie professionnelle. Le plaisir de recevoir du courriel n’a pas ses origines dans une quelconque abolition de la solitude. Il tient plus d’une certaine satisfaction technologique où je peux m’émerveiller des pouvoirs de la communication. Devenir accro aux messages reçus par courriel en dit plus sur nos attaches avec la technologie moderne que tout ce qu’on peut dire d’autre. Il est possible que celui qui passe des jours sans consulter son courriel soit aussi quelqu’un qui ne suive pas non plus les progrès de la technologie moderne et qu’il utilise un ordinateur le moins souvent possible. Même si je consulte mon courriel environ 3 fois par jour, je ne me considère pas un accro. Mes activités m’obligent à me référer à mon courriel plusieurs fois par jour. Je participe à de nombreux forums de discussion sur le Net et je déteste laisser du temps s’écouler avant de répondre si je suis attaqué ou si mon intervention peut faire la lumière sur une question. Bien sûr, on peut me dire que tout cela peut attendre car il y a « une vie » au-delà de l’utilisation du courriel. D’autre part, certaines questions sont bonnes à poser : De quoi parle-t-on et qu’est-ce qu’on vérifie quand on consulte son courriel ? Le modèle est-il le même pour les courriels et pour les téléphones portables où la majorité des utilisateurs parlent de n’importe quoi ? J’ai déjà dit ici combien l’utilisation des portables en public constitue une véritable intrusion dans la vie immédiate et ordinaire des citoyens. Au contraire des portables, la consultation des courriels en public n’est pas aussi intrusive et bruyante dans la vie immédiate et ordinaire des citoyens. Nous pouvons même choisir d’y prêter ou de n’y pas prêter attention.
Consulter Hugues St. Fort à : Hugo274@aol.com