Si l’on vit à New York et qu’on est Haïtien ou tout simplement amoureux de la culture haïtienne (il y en a de plus en plus), les quatre semaines qui s’annoncent, c’est-à-dire celles qui vont du 1er mai au 31 mai 2009 se révèleront extrêmement attractives. Oh, bien sûr, je sais, le pays d’origine après les élections législatives partielles de dimanche dernier 19 avril est en pleine débandade, les classes populaires et paysannes plus que jamais s’enfoncent dans la misère, le désespoir et la violence, et la gouvernance locale affiche une irresponsabilité exécrable. Le pire, c’est qu’on n’espère même pas entrevoir le bout du tunnel dans un avenir proche. Alors, que faire dans une telle situation sinon recharger ses batteries… culturelles. Et l’actualité littéraire, artistique et culturelle en général nous en donne amplement l’occasion. La fête commence demain dimanche 26 avril à Medgar Evers College à Brooklyn avec la 13ème journée annuelle du Livre haïtien événement tenu régulièrement par Mme Jasmine Narcisse de la CUNY. L’invitée spéciale sera l’écrivaine haïtienne la plus connue aux États-unis, Mme Edwidge Danticat, auteure de « Breath, Eyes, Memory », « Krik ? Krak ! », « The Farming of Bones », « The Dew Breaker », « Brother, I’m Dying » pour ne citer que ses œuvres de fiction. Le dimanche suivant 3 mai, Mme Narcisse se déplace à Queens plus précisément à York College où elle reçoit un autre écrivain haïtien tout aussi célèbre : M. Frankétienne qui interviendra dans une causerie intitulée « La Spirale, Esthétique du chaos, matrice des lumières ». Il présentera aussi son nouveau roman : « Amours, délices et orgues ». Frankétienne sera accompagné de deux autres personnalités de la non-fiction haïtienne : M. Jean Jonassaint, professeur de littératures francophones à Syracuse University, auteur de « Typo/Topo/Poétique : Sur Frankétienne » (L’Harmattan, 2009) et Frantz-Antoine Leconte, professeur de littératures française et haïtienne à CUNY, auteur de « Josaphat-Robert Large, la fragmentation de l’être » (L’Harmattan, 2009).

A partir du 1er mai, la FIAF (French Institute Alliance française) en partenariat avec S.O.B.’S, the PEN World Voices Festival of International Literature, Haïti’s Ciné Institute and the Maysles Institute, lance ce qui sera peut-être l’une des plus grandes manifestations tenues à New York pour célébrer la culture haïtienne. Dans le cadre de son annuelle exploration du phénomène transculturel au 21ème siècle, World Nomads, la FIAF a choisi de célébrer Haïti dont le paysage culturel a conquis plus d’un. Tout commence le vendredi 1er mai à 20h au Florence Gould Hall de la FIAF avec le groupe mizik rasin RAM emmené par Richard A. Morse. Le lendemain samedi 2 mai est une journée qu’il ne faut rater sous aucun prétexte. Dès 13h, une table ronde mettra face à face le grand romancier haïtien, Dany Laferrière, et l’écrivain américain Madison Smartt Bell auteur d’une trilogie célèbre sur l’histoire d’Haïti. Puis, ce sera le tour de Frankétienne de parler de l’identité haïtienne. La journée se terminera avec une session de contes bien dans la mode de notre légendaire culture orale, le fameux Krik ? Krak ! Parallèlement à cette discussion littéraire, se tiendra à la John & Francine Haskell Library de la FIAF une séduisante exposition de livres d’écrivains haïtiens dont Marie-Célie Agnant, Dominique Batraville, René Depestre, Frankétienne, Dany Laferrière, Yanick Lahens, Kettly Mars, Jean Métellus, Évelyne Trouillot et Gary Victor.

Tous les mardis, jusqu’au 26 mai, le cinéma d’Haïti ou sur Haïti sera à l’honneur. Entre le 3 et le 28 mai, il y aura une projection de films documentaires sur Haïti, son art, sa religion populaire, le vodou, son histoire et ses diverses formes musicales. Pour ceux et celles qui s’intéressent particulièrement à l’art haïtien, ne manquez surtout pas l’exposition spéciale de la collection personnelle du fameux directeur américain, Jonathan Demme. Cette exposition se tiendra du jeudi 7 mai au samedi 13 juin 2009.

C’est devenu maintenant un lieu commun de dire que Haïti, malgré ses échecs politiques répétés et l’état dégradant dans lequel vit la majorité de ses habitants, constitue un exemple superbe de succès culturel rarement constaté dans les cultures post-coloniales. Un tel raisonnement se construit à partir de l’idée que la culture est étrangère à la société et à la politique dominante de cette société. Rien n’est plus faux. La culture d’une société prend naissance dans les racines même de cette société. Peut-on imaginer l’œuvre artistique de Préfète Duffaut, André Normil ou Sénèque Obin autrement que dans le réservoir haïtien ? Ou l’œuvre littéraire d’Émile Ollivier, ou de Jacques Roumain sans le vivier haïtien ? Évidemment, non. Dans un des livres les plus intelligents qui ait jamais été écrit sur la littérature et la société haïtienne, « Exile and Post-1946 Haitian Literature. Alexis, Depestre, Ollivier, Laferrière, Danticat » (2007, Liverpool University Press), Martin Munro écrit ceci: « Haitian culture is not an innocent offshoot of national society, but is deeply implicated in that society’s failures. If Haitian culture has succeeded, it has done so through a series of failed attempts to harness itself to the romantic hope of anticolonial overcoming, a hope that has long floundered on the postcolonial perpetuation of internal class, color, and indeed cultural divides. » (la culture haïtienne n’est pas un prolongement innocent de la société nationale haïtienne, mais elle est profondément impliquée dans les échecs de cette société. Si la culture haïtienne a réussi, elle l’a fait à travers une série de tentatives ratées de s’attacher à l’espoir romantique de surmonter l’obstacle anticolonial, un espoir qui a longtemps pataugé péniblement dans les perpétuations postcoloniales des questions internes de classe, de couleur et de divisions culturelles.) (ma traduction).

Je souhaite à tous mes lecteurs d’aller participer à la grande fête de la culture haïtienne qui commence vendredi prochain d’abord à York College puis aux divers festivals de la World Nomads Haïti à la FIAF. Les obsédés de politique politicienne à la manière haïtienne n’en auront cure bien sûr mais il y a certainement d’autres qui ne craignent pas de cheminer dans le monde des idées et qui voudront discuter, partager des idées, réfléchir ensemble sans croire qu’ils détiennent la vérité.

Contactez Hugues St.Fort à : Hugo274@aol.com

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