Un de mes amis n’arrive pas à comprendre que je me proclame athée (ou agnostique). D’après lui, les Haïtiens devraient être les derniers à douter de l’existence de Dieu car tout dans notre histoire et notre culture prouve que nous ne pouvons pas nous débarrasser de l’idée de Dieu. Il n’arrête pas de me dire que les Haïtiens en général, qu’ils soient chrétiens ou adeptes du vodou, éprouvent plus que tout autre la présence d’une force supérieure et devraient admettre l’idée de la transcendance de Dieu. Il me rappelle Boukman, Dessalines, la cérémonie du « Bwa Kayiman », l’extraordinaire foi du peuple haïtien malgré ses malheurs séculaires et la descente aux enfers de la société haïtienne ; il me cite même cette réplique bien connue dans « Les frères Karamazov » de Dostoïevski « Si Dieu n’existe pas, tout est permis » J’ai essayé de lui faire comprendre que mes origines haïtiennes n’ont absolument rien à voir avec ma croyance en Dieu et que le doute demeure une forme d’identité que je revendique fortement. Que les Haïtiens soient baignés dans une mentalité magico-religieuse relève de conditions matérielles qui ont à peine évolué depuis les temps coloniaux.

En fait, durant ces cinq dernières décennies, la pénétration dans les couches populaires de la société haïtienne des diverses églises protestantes fondamentalistes venues des États-unis a contribué à bouleverser profondément les structures du fait religieux en Haïti. D’après le sociologue haïtien Laënnec Hurbon, directeur de recherche au CNRS et grand spécialiste du phénomène religieux dans la Caraïbe, « en dépit de l’existence d’une Fédération protestante et du Concile national des Églises évangéliques, certaines confessions fonctionnent de manière autonome et apparaissent même comme des mini-Etats avec leurs ressources propres et leur propre projet de développement dans les quartiers suburbains des villes où elles s’implantent. » Le catholicisme en Haïti est tout aussi puissant. En effet, Hurbon maintient que le catholicisme « dispose aujourd’hui à travers le pays d’un réseau d’activités et de communications dont l’impact sur la population est nettement aussi important, sinon parfois davantage, que celui de l’État. » Donc, le phénomène religieux en Haïti tel qu’il est représenté par ces deux institutions religieuses, relève d’abord et avant tout d’un pouvoir temporel qui s’exerce en tant que tel : domination, conflit de classes, luttes idéologiques, etc.

En ce qui concerne la phrase célèbre de Dostoïevski dans Les frères Karamazov « Si Dieu n’existe pas, tout est permis », il est important de se rendre compte que les puissants de ce monde, au niveau individuel ou au niveau de l’État, qu’ils soient croyants ou non, ne se sont jamais embarrassés pour faire ce qu’ils veulent et comme ils le veulent (suivez mon regard !). De tout temps, mais encore plus dans le monde où nous vivons, ce que nous désignons sous le nom d’ordre n’est qu’une illusion. Ce qui existe, c’est l’exclusion, le désordre social, une pseudo-morale, la défense des intérêts personnels poussés jusqu’à la limite de la haine…Une des interprétations qu’on peut faire de la phrase tirée de « Les frères Karamazov » sous-entend que les athées sont des monstres, des anarchistes, des méchants de la pire espèce…En réalité, ce sont les adeptes des religions qui ont toujours été les plus grands criminels de l’histoire. L’existence de Dieu n’a jamais été prouvée mais il a été commis en son nom les pires massacres qui se sont déroulés au cours de l’histoire. Je doute qu’on puisse en dire de même des athées en général bien qu’il soit possible de trouver des cas individuels d’athées qui se sont livrés à des crimes répréhensibles. Mais, même dans de tels cas, il resterait à prouver que leurs crimes ont été commis parce qu’ils ont sciemment rejeté toute perspective du jugement dernier.

A en juger par le succès récent de quatre livres « The God Delusion », « Breaking the Spell », « The End of Faith », and « God is not Great » par respectivement Richard Dawkins, Daniel Dennett, Sam Harris, et Christopher Hitchens, on peut se demander si la société américaine traditionnellement fortement « religieuse » et farouchement anti-athée serait en train de mettre en question la croyance en Dieu. La réponse est non. Il est possible que les élites intellectuelles américaines (ou une partie de ces élites) soient en train de commencer à marcher sur les traces des élites intellectuelles européennes qui ont depuis longtemps questionné la croyance en Dieu. Mais, la grande majorité des Américains continuent de traîner en arrière par rapport aux Européens en ce qui concerne l’importance de la religion dans notre vie. En France, par exemple, il n’y a que 5% de gens qui vont à l’église sur une base hebdomadaire. Pour les Européens en général, le pourcentage de gens qui pensent que la religion est « très importante » ne s’élève qu’à 21%. Aux États-unis, la religion est un phénomène culturel, tout comme la restauration rapide, les sports, la consommation, la musique populaire…

Contactez Hugues St. Fort à : Hugo274@aol.com

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