Cet article constitue la deuxième partie d’une mise au point sur la dénomination de la langue parlée par les Haïtiens après la parution d’un article qui avait paru sur le quotidien Le Nouvelliste critiquant l’appellation de créole réservée à la langue maternelle des locuteurs haïtiens. Je renvoie le lecteur à l’hebdomadaire Haitian Times en version électronique au www.haitiantimes.com (chez Hugues) pour lire la 1ère partie. L’argument principal de Prophète Joseph (PJ, c’est le nom de l’auteur de l’article) est que « le mot créole n’évoque pas l’origine nationale de l’objet dont on parle. » C’est pour cela qu’il insiste à dire l’« haïtien » au lieu de conserver la dénomination « créole » comme je le maintiens. J’ai expliqué dans la première partie que la similarité du nom de la langue (le français, l’allemand, l’italien, l’espagnol…) avec le nom du pays (la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne) où vivent les locuteurs qui parlent cette langue n’est pas automatique, est même idéologiquement marquée et que nombre de pays ne respectent pas ce schéma. En fait, PJ semble faire appel à la notion d’identité et son raisonnement voudrait nous faire croire que l’identité de l’Haïtien n’est servie valablement que si la nationalité du locuteur correspond exactement au nom de la langue qu’il parle. Mais la notion d’identité, l’une des notions phare du 21ème siècle, est plus complexe que cela.
Plus loin, PJ écrit ceci : « Dans le cas d’Haïti, ces définitions du mot créole ne servent qu’à cacher à la face du monde son identité nationale et son statut de république. » Donc, selon PJ, le mot « créole » ferait partie d’un complot monté par les « persécuteurs » d’Haïti pour empêcher le reste du monde de savoir que Haïti est une république et possède une identité nationale. Je me demande s’il se rend compte de ce qu’il dit. J’ai montré dans la première partie de cette mise au point que le mot « créole » existe depuis au moins 4 siècles dans la Caraïbe et le Nouveau Monde en général et qu’il est passé par toute une liste de significations. Ce qui est sûr, c’est que le mot « créole » fait partie de l’identité de la Caraïbe.
Voici une dernière opinion lancée par PJ comme ça, sans preuve, sans explication, juste pour épater la galerie et chauffer les esprits : « A chaque fois qu’on fait usage du mot « créole » en lieu et place du mot « haïtien », on contribue volontairement ou involontairement à la disparition du mot haïtien et de ses attributions. » Je répète que le mot « créole » est en usage dans le Nouveau Monde depuis au moins 4 siècles avec toute une série de variantes sémantiques, qu’il a été utilisé et comme adjectif et comme nom (comme adjectif, on a par exemple, une « fleur créole », une « dame créole », un « cochon créole » ; comme nom, il se référait à des personnes : au début, un Européen né dans les colonies, par opposition à un Européen né dans la métropole ; plus tard, un esclave né dans les colonies par opposition à un esclave né en Afrique et plus tard encore, des langues parlées dans la Caraïbe)
Dans son article, PJ écrit ceci : « La langue parlée en Haïti s’appelle l’haïtien depuis le 28 septembre 1979, date à laquelle le Parlement de la république adopta l’alphabet officiel de la langue haïtienne dans le cadre de la réforme de l’école fondamentale qui a été mise en place par le décret-loi du 30 mars 1982. »
Tout d’abord, rétablissons la vérité : Le 18 septembre 1979, un décret gouvernemental officialisa l’usage du créole dans les écoles haïtiennes. Puis, les 22 et 31 janvier 1980, la Secrétairerie d’État à l’Éducation nationale publia 2 communiqués l’un en français et l’autre en créole, relatifs à l’orthographe du créole (Études créoles, vol.III, #1, nov.1980 pages 101-105). Ni dans le décret du 18 septembre 1979, ni dans les communiqués du 22 et du 31 janvier 1980, on ne voit l’appellation « haïtien » qui remplacerait le nom de créole. Le communiqué signé par le ministre Bernard présente la graphie du créole haïtien en disant ceci : « Ki jan nou ekri kreyòl ayisyen » et expose les unités phonologiques du créole haïtien avec des exemples des différents phonèmes placés en initiale de mot, en milieu de mot et en finale de mot.
D’autre part, PJ dit que « l’article 5 de la Constitution de 1987 signale que l’haïtien est la seule langue qui unit tous les habitants d’Haïti. L’haïtien et le français sont deux langues officielles de la République d’Haïti. » Ceci est faux. Le mot « haïtien » à la place de « créole » ne figure absolument pas dans le texte de l’article 5 de la Constitution de 1987. Voici ce que dit l’article 5 de la Constitution de 1987 : « Tous les Haïtiens sont unis par une Langue commune : le Créole. Le Créole et le Français sont les langues officielles de la République. » Tout le monde peut lire le texte de la Constitution et vérifier ce que j’ai dit. PJ est pris ici en flagrant délit de mensonge et de falsification de texte public. Ceci est grave, très grave. Je laisse aux lecteurs le soin de juger un tel comportement.
Comment peut-il y avoir tant de gens à applaudir aux arguments de PJ ? Parmi ceux-ci, certains m’ont traité de tous les noms : « traître de grand chemin», « colonisé », « sousou », « il se croit français », etc.…J’avance comme réponses : l’ignorance de la question et la propension de beaucoup de mes compatriotes à acquiescer chaleureusement à toute proposition qui flatte leur nationalisme « folklorique », leur « fausse fierté » pour reprendre l’expression juste et objective d’une internaute célèbre dans les forums de discussion haïtiens. Tout homme politique haïtien sait qu’il mobilisera les foules haïtiennes dès qu’il fait appel au nationalisme « folklorique » des Haïtiens et même si ce qu’il dit est faux ou ne tient pas debout. C’est sur cette fibre que PJ reprenant les stratégies classiques des hommes politiques haïtiens a joué dans son article. J’avance aussi le système éducatif haïtien qui ne fait pas appel à la réflexion critique mais plutôt au psittacisme, ce que nous appelons en kreyòl le « jakorepèt ». Heureusement, il y a encore des Haïtiens et des Haïtiennes qui ont conservé leur réflexion critique et qui se sont manifestés pour faire le point, qui se sont démarqués des louanges sans réserves apportées à la proposition de PJ.
Quelqu’un pourrait me dire cependant « Pouvez-vous avoir raison face à une majorité ? » Ma réponse est la suivante : l’Histoire, aussi loin que l’on pourrait remonter, prouve que cela est parfaitement possible et qu’il existe des tas d’exemples. L’un des plus célèbres et que j’adore citer est le cas du célèbre physicien et astronome italien Galilée qui proclama au 17ème siècle que c’était la Terre qui tournait autour du Soleil, en contradiction avec la théorie dominante de son époque. Il dut se rétracter devant l’Inquisition en 1633 pour éviter d’être exécuté. Cependant, l’histoire nous dit qu’après avoir abjuré sa théorie, il aurait murmuré cette phrase célèbre : « Et pourtant, elle tourne. »
Dans la troisième partie de mon article, je montrerai les véritables enjeux de cette discussion qui n’est pas aussi oiseuse et inutile que certains voudraient le faire croire.
Contactez Hugues St. Fort à : Hugo274@aol.com