Si vous habitez à New York (ou même dans d’autres états des États-unis ou d’autres pays de la planète), vous avez certainement vu, lu ou entendu l’histoire de ce propriétaire d’un établissement de restauration rapide situé à Harlem qui a renommé son restaurant « Obama Fried Chicken ». En réalité, les faits sont beaucoup plus compliqués : Il y a d’une part le cas de ce propriétaire d’un « Obama Fried Chicken » situé à Brooklyn qui tient bon contre les pressions de ceux qui veulent le retrait de ce nom, et d’autre part le cas d’un autre propriétaire d’établissement de restauration rapide situé à Harlem. La controverse d’Harlem s’est relativement bien terminée puisque le propriétaire en question a eu l’idée d’enlever la première et la dernière lettre du nom du président et créer ainsi un nouveau nom pour son restaurant qui est donc devenu « Bam Fried Chicken & Pizza ».
Malgré le bruit qui a été fait autour de cette question de dénomination, cette affaire aurait pu passer relativement inaperçue dans la mesure où c’est une pratique typiquement américaine. Le public américain d’une manière générale, aidé en cela par le système des médias, demeure très proche de leurs vedettes et autres hommes publics (ou femmes publiques) et aime s’associer du moins dans leur imaginaire à ces personnages publics. Depuis qu’il a été élu président de la république, Barack Obama a acquis un statut qui va au-delà de la considération présidentielle. C’est un personnage public, familier, très proche de l’homme de la rue. A New York, les deux fameux tabloïdes de la presse locale, le Post et le Daily News, ont pris l’habitude de dénommer le président : « BAM » (il est possible que ce soit des problèmes d’espace dans la rédaction des articles – et non une sympathie quelconque à l’égard du président Obama – qui ont forcé ces tabloïdes à cette politique d’aphérèse dans la manipulation de son nom). Toujours est-il que cela a fait l’affaire du propriétaire du restaurant d’Harlem qui s’est servi du BAM des tabloïdes pour renommer son restaurant.
De toute façon, je soupçonne que – comme toujours dans la réalité sociologique et politique américaine – la question raciale a fait irruption dans le débat et a porté l’affaire sur le plan national. Car, après tout, ce n’est pas la première fois que le nom d’un président américain est associé à des entreprises commerciales. Par exemple, il existe un restaurant dénommé JFK Fried Chicken situé entre la seconde avenue et la 102ème rue sans compter la horde de magasins de toutes sortes qui portent le nom du président Kennedy. Il existe aussi des entreprises commerciales qui portent le nom du président Obama : « Obama roofing », « Obama Yard Sale » in South L.A…. Comment expliquer cette levée de boucliers dès lors qu’on associe le nom du premier président noir américain à une entreprise commerciale ?
L’explication fournie par les protestataires souligne le côté stéréotypé sur le plan racial du poulet frit américain, aliment hautement consommé par la majorité des Africains-Américains. Cependant, les responsables du restaurant se défendent avec véhémence du moindre soupçon de racisme. Ils invoquent le fait qu’ils sont eux aussi des « personnes de couleur » faisant commerce avec des communautés noires dans un environnement démographique noir avec lequel ils se sentent en pleine solidarité. Malheureusement, il existe une réalité sociologique américaine dont il est très difficile de se débarrasser même après des dizaines d’années de disparition de l’esclavage et de progrès d’égalité raciale dans la société américaine (même s’il y a encore énormément à accomplir). Certains aliments américains connotent toujours un stéréotype racial dirigé négativement vers les Noirs. C’est le cas du poulet frit ou du melon par exemple. Je signale au passage qu’en France l’usage du terme « melon » pour désigner un Nord-Africain est injurieux et raciste. C’est contre tout cela, c’est-à-dire le renforcement de ces connotations racistes véhiculées peut-être inconsciemment par les responsables du restaurant en question, que les protestataires se sont élevés.
Les arguments de solidarité avec les Africains-Américains avancés par les responsables du restaurant « Obama Fried Chicken » rebaptisé « Bam Fried Chicken & Pizza » et d’hommage au premier président noir de la nation américaine sont loin de m’avoir convaincu. J’estime que la dénomination qu’ils ont choisie pour leur restaurant ne repose que sur des techniques publicitaires destinées à jouer sur l’Obamanie qui reste encore très forte dans la société américaine. Doit-on leur en vouloir ? Pas forcément ! On est après tout en plein pays capitaliste qui repose fondamentalement sur la consommation et tout est justifié pour allécher les consommateurs et les porter à acheter. Cependant, on ne peut pas balayer l’histoire d’un revers de main. Car, elle est là, tenace et s’incruste dans la réalité contemporaine. Les responsables du restaurant « Obama Fried Chicken » l’ont appris à leurs dépens. Deuxième leçon apprise – j’espère – par les responsables immigrants du restaurant au nom controversé : les stéréotypes raciaux sont bel et bien vivants et ce n’est pas parce que vous n’êtes pas les cibles de ces stéréotypes que vous devez les ignorer.
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