Quand tout sera pris en compte, et qu’on aura terminé le travail de nettoyage des décombres de Port-au-Prince et des villes de province qui ont été affectées, il est probable que le tremblement de terre du 12 janvier 2010 aura causé la mort de plus d’un quart de millions de personnes, réduit à l’état de sans-abri plus d’un million de gens en détruisant des centaines de milliers de maisons. On parle déjà de plus de 4.000 amputés dans le pays et la majorité de ceux qui ont vécu cette horreur se ressentira du choc psychologique qu’elle laissera dans leurs esprits. Nous ne savons pas comment ces traumatisés réagiront. Au-delà des réflexions politiques, scientifiques, et religieuses que ce cauchemar nous a suggérées, il s’agit pour nous aujourd’hui de considérer les aspects philosophiques de ce séisme. Les réflexions que je livre ici dans le cadre de ma chronique hebdomadaire sont tout à fait personnelles. Mais je sais que certains diront qu’il y a des choses plus pressantes à faire que d’écrire sur un séisme dévastateur.
Ce qui s’est passé en Haïti le 12 janvier 2010 peut renforcer le doute chez ceux qui ne croient pas en l’existence de l’être omnipotent, omniscient et plein d’amour pour les humains dont les grandes religions monothéistes nous parlent tant. En effet, pourquoi devrions-nous continuer à croire en l’existence de cet être qui a été impuissant à nous protéger contre les furies de la nature ? L’explication traditionnelle des classiques religions chrétiennes voudrait nous faire croire que cet être omnipotent, omniscient et plein d’amour a réservé des plans pour nous dont la grandeur dépasse tout ce que nous pourrions imaginer. Nous serions de pauvres mortels dont la connaissance est limitée et tout à fait incapables de comprendre la grandeur divine.
En fait, le séisme devrait être la preuve objective que cet être tel que nous nous le représentons n’est qu’une illusion. Dans ma chronique de la semaine dernière intitulée « Explication scientifique ou explication religieuse du séisme ? », j’ai taché de montrer que le séisme du 12 janvier n’était qu’un désastre naturel qui a été aggravé par des décennies de corruption, d’abandon de l’État, d’injustice sociale, d’incompétence administrative…etc. Le tremblement de terre a mis à nu la politique irresponsable et indifférente de l’État haïtien vis-à-vis des populations les plus démunies telle qu’elle a été pratiquée au cours de ces cinquante dernières années.
Il y a eu en Haïti, des jours après le séisme, des rassemblements interminables d’Haïtiens et d’Haïtiennes qui se sont groupés pour exprimer leur foi en cet être omnipotent et plein d’amour qui les avait protégés et lui signifier leurs remerciements. On ne peut s’empêcher de se poser des interrogations fondamentales à propos de ces expressions de foi et de remerciements. Si cet être plein d’amour a pu épargner certaines personnes de la destruction violente causée par le séisme, doit-on en conclure que les victimes sont coupables de quelque chose et qu’elles ne font que payer pour ce qu’elles ont commis alors que les réchappés de la catastrophe sont des purs et des innocents ? C’est donc un message que cet « Être Suprême » a voulu nous faire passer. Comment expliquer alors la mort de tant d’innocents ? Pourquoi n’ont-ils pas été épargnés ?
Dans la perspective qui est la mienne (désastre naturel aggravé par l’abandon chronique du pays par un État haïtien irresponsable), une question fondamentale surgit : celle de la liberté de l’homme, de sa responsabilité dans les malheurs qui frappent sa planète et ses proches. Mais, si l’homme est libre et responsable de ses actes, quel est le rôle de Dieu dans l’univers ? Comment peut-il permettre que le mal, les souffrances et les injustices de toutes sortes puissent continuer de sévir dans le monde alors qu’il est connu comme un Être suprêmement bon et tout-puissant ? L’une des réponses offertes par les religions chrétiennes consiste à dire que le monde est corrompu et hautement imparfait à cause des horribles péchés commis par le genre humain. Les principes classiques des enseignements religieux nous apprennent que Dieu n’a pas créé le mal. Dieu a créé les hommes et ce sont eux qui ont choisi de commettre le mal.
Comment peut-on raisonnablement continuer de croire à de telles propositions ? Il faut être de parfaits exaltés ou des hystériques consommés pour les accepter. Qu’y-a-t-il donc de si extraordinaire dans les secousses sismiques pour que tout au long de l’histoire occidentale, les diverses religions chrétiennes ont toujours fait appel à l’explication divine (punition divine, manifestation de Dieu…) pour leur compréhension ? Pourtant, nos connaissances sur les tremblements de terre sont depuis quelque temps largement partagées. Nous savons que ce sont les déplacements des plaques tectoniques au-dessous de la surface de la terre qui causent les secousses sismiques ; elles peuvent être aussi dues aux poussées de la matière en fusion sous l’écorce terrestre. Dans l’état de nos connaissances actuelles en géologie et en sismologie, les experts de ces disciplines peuvent prévoir où les secousses vont se manifester bien qu’ils ne soient pas encore en mesure de dire exactement quand ils vont arriver. Rappelons qu’un expert haïtien en géologie, M. Patrick Charles, avait prévu, selon une déclaration rapportée par le quotidien haïtien Le Matin du 28 septembre 2008, un violent tremblement de terre à Port-au-Prince. Le pire, c’est que d’autres experts nous mettent en garde contre la reconstruction de Port-au-Prince sur les mêmes endroits qui viennent d’être dévastés car cette zone est sujette au cours des prochaines vingt ou trente années à recevoir d’autres secousses sismiques encore plus fortes que celle du 12 janvier dernier. Si cela se produit, continuera-t-on à rechercher une explication divine ?
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