Selon la grande majorité des linguistes contemporains, tous les êtres humains sont nés avec la faculté de langage, capacité cognitive distinctive de l’homme dans tout le règne animal. Quand nous sommes des locuteurs natifs, nous n’apprenons pas formellement ou explicitement la langue de notre environnement social. Nous savons intuitivement comment former et interpréter des mots et des phrases. Par exemple, un bébé né à New York et dont les parents déménagent à Port-au-Prince quand il est âgé de trois mois, parlera et comprendra le créole haïtien vers l’âge de deux ou trois ans, pratiquement sans effort particulier. Le célèbre linguiste américain Noam Chomsky, professeur à MIT, explique ce phénomène en faisant l’hypothèse que le langage est inné chez les êtres humains. (Il existe une littérature immense écrite par Chomsky et sur Chomsky sur cette hypothèse). Grâce à cette prédisposition génétique, tout enfant est en mesure d’acquérir la grammaire de sa langue native en se basant sur les données pourtant réduites qu’il se procure dans son entourage et surtout sans aucun apprentissage formel. Depuis Chomsky, et la démolition qu’il avait faite en 1957 dans un compte rendu du livre de B.F. Skinner, Verbal Behavior, le behaviorisme étant la théorie selon laquelle nous apprenons une langue par de simples principes associatifs, tous ceux qui s’intéressent au langage et aux langues savent que les langues ne s’acquièrent pas par imitation. Le petit enfant qui acquiert sa langue native y arrive par un véritable travail de création individuelle, à partir d’un processus instinctif. Pour Chomsky, l’acquisition d’une langue est une activité particulière à tous les êtres humains quelqu’ils soient et comporte des processus mentaux distincts de ceux qui nous permettent d’apprendre à jouer aux échecs, par exemple. C’est aussi une activité entièrement subconsciente, involontaire et généralement non guidée par nos parents. L’une des thèses principales introduites par Chomsky et renforcées par d’autres recherches est que les enfants sont venus au monde avec une capacité innée pour le langage. Apparemment, le cerveau humain est « prêt » pour le langage. Cela veut dire que, quand les enfants sont placés dans un milieu sociolinguistique où telle langue particulière est parlée, ils mettent alors en œuvre des principes généraux du langage qui leur permettent de découvrir et structurer les divers éléments de cette langue. C’est ainsi qu’ils arrivent à parler la langue de leur milieu social.

Le langage se manifeste à travers les langues qui sont multiples, complexes et semblent fort différentes les unes des autres. En réalité, selon Chomsky, il existe des principes abstraits (Principles and Parameters) qui gouvernent les langues et qui sont considérés comme des propriétés universelles du langage. Ces propriétés se retrouvent donc dans la majorité des langues humaines. L’ensemble de ces caractéristiques est désigné sous le nom de « Grammaire Universelle » (G.U.)

J’ai tenu à présenter cette très brève et très schématique introduction consacrée au langage et aux langues même si le sujet de cet article concerne l’orthographe. En effet, la plupart de mes compatriotes se font une fausse idée de la nature de l’orthographe qu’ils mettent sur le même pied que la langue. Répétons-le encore une fois : l’orthographe n’est pas la langue. La langue est un système abstrait de règles qui permettent aux locuteurs d’une communauté linguistique de produire des phrases grammaticales comprises par l’ensemble de cette communauté. Chaque langue possède son propre système de règles que les locuteurs mettent en œuvre pour se faire comprendre. L’orthographe est un système de notation des sons d’une langue par des signes écrits. Ce système de notation des sons n’est pas inné, il doit être appris dans la communauté, même par le locuteur natif et, dans toutes les sociétés humaines, il a une histoire. Malgré que le français soit la langue maternelle des Français, le petit Français doit apprendre l’orthographe de la langue française. Sinon, il ne pourra jamais l’écrire correctement. Il y a un nombre assez important de locuteurs français qui, parce qu’ils n’ont pas été scolarisés, ne peuvent pas lire et écrire le français qu’ils parlent pourtant couramment. Le même phénomène se retrouve aux États-unis où il existerait environ plus de 30 millions d’analphabètes.

De plus, ce ne sont pas toutes les langues du monde qui sont écrites. Des 6.000 langues environ parlées par les êtres humains (c’est une estimation généralement partagée par la majorité des linguistes), plus des trois quarts d’entre elles ne sont pas écrites, bien qu’elles fonctionnent comme des langues à part entière pour les populations qui les parlent. Elles ne deviennent pas langues parce que, brusquement, on a édifié pour elles une orthographe, un système d’écriture. Elles ont toujours été des langues parce qu’elles ont toujours fonctionné en tant que telles.

Il existe plusieurs types de systèmes d’écriture. Celui qui est le plus largement utilisé reste l’écriture alphabétique. Ce système semble être le plus économique quand on le compare aux autres systèmes car il est basé sur une correspondance entre phonèmes et graphèmes. La plupart des alphabets contiennent entre 20 et 30 symboles mais dans la mesure où les systèmes de sons sont relativement complexes, les alphabets sont assez variés en termes de grandeur. L’alphabet du français et de l’anglais contient 26 lettres tandis que l’alphabet du créole haïtien en a 30 ou 31 selon la façon dont on analyse les phonèmes. Dans un système d’écriture idéal, on trouve un graphème (signe, symbole) pour chaque phonème (son). Mais, dans la réalité, cette régularité est loin d’être observée. Selon les spécialistes, l’espagnol est la langue qui se conforme le mieux à cette régularité. L’anglais et le français sont les langues occidentales où l’on trouve le plus d’irrégularité graphémique et phonémique. Les causes de cette irrégularité dans le système d’écriture de certaines langues occidentales sont diverses. En anglais et en français, l’une des causes de cette irrégularité provient du désir chez les bâtisseurs d’orthographe dans ces langues de faire refléter leur étymologie latine ou grecque sans tenir compte des changements de sons qui sont intervenus à travers les siècles et des problèmes immenses que ces irrégularités font subir aux enfants qui apprennent leur langue native ou aux étrangers pour qui ces langues sont justement…étrangères.

Dans la deuxième partie de ce triptyque, la semaine prochaine, nous présenterons une brève histoire du « kreyòl » haïtien.

Contacter Hugues St. Fort à : Hugo274@aol.com

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