La définition de « religion » qui est proposée ici et à partir de laquelle je travaillerai se voudrait être la plus large possible. Je l’ai reprise de David L. Edwards sous l’entrée « religion » dans le livre « The Harper Dictionary of Modern Thought », édité par Alan Bullock, Oliver StallyBrass, et Stephen Trombley, édition révisée, 1988 : 738. La voici telle quelle: « An attitude of awe towards God, or gods, or the supernatural, or the mystery of life, accompanied by beliefs and affecting basic patterns of individual and group behaviour. » (Une attitude de respect mêlé de crainte envers Dieu ou les dieux, ou le supernaturel, ou le mystère de la vie, attitude accompagnée de croyances et affectant les modèles de base du comportement individuel et collectif.) (ma traduction). Ainsi énoncé, le concept religion se réfère d’abord à une conduite humaine dirigée vers des forces perçues comme transcendantales ou mystérieuses. Il n’y a pas de religion intrinsèquement supérieure ou inférieure, vraie ou fausse car la religion est une construction sociale. En tant que telle, elle est sujette à des interprétations différentes, varie selon les individus et les groupes sociaux et ethniques et ne possède aucun caractère scientifique.
Les origines de la religion semblent remonter à la nuit des temps, dans les mythologies des premières sociétés humaines qui ont évolué en des croyances monothéistes (christianisme, judaïsme, islam) récupérées plus tard par une idéologie dominante et des pratiques étatiques. Les divisions religieuses de l’Europe au 16ème siècle (catholiques, orthodoxes, protestants, eux-mêmes subdivisés en Luthériens, Calvinistes, Anglicans…), les problèmes intérieurs à la royauté française, et surtout l’absence de tolérance religieuse de part et d’autre, contribuèrent à déclencher ce qu’on a appelé les guerres de religion en France entre 1562 et 1598. Ces guerres mirent aux prises Catholiques d’une part, et Protestants de l’autre, et ensanglantèrent l’Europe en général et la France en particulier.
La question se pose maintenant si nous allons assister bientôt à une guerre de religion en Haïti quand on considère les derniers développements relatifs à certaines déclarations religieuses faites par des responsables religieux en Haïti. En effet, selon une dépêche de l’AP en date du 23 février 2010 ayant pour titre « Voodooists attacked at ceremony for Haïti victims », une foule en colère a attaqué à coups de pierre des vodouisants qui tenaient une cérémonie de vodou dans le bidonville de Cité Soleil pour honorer les victimes du violent tremblement de terre qui a dévasté Haïti le 12 janvier 2010.
Selon M. Max Beauvoir, un des plus célèbres prêtres de vodou en Haïti qui commentait cet incident, « much of this has to do with the aid coming in. Many missionaries oppose Voodoo. I hope this does not start a war of religions because many of our practitioners are being harassed now unlike any other time that I remember. » (une grande partie de cet incident prend sa source dans l’aide qui est en train d’arriver. Beaucoup de missionnaires s’opposent au vodou. J’espère que cela ne va pas faire commencer une guerre de religions car la plupart de nos pratiquants sont maintenant harcelés à un point que je n’ai jamais constaté auparavant.) (ma traduction).
De son côté, le pasteur Frank Amedia du groupe Touch Heaven Ministries basé à Miami rapporte ceci: « There’s absolutely a heightened spiritual conflict between Christianity and Voodoo since the quake. We would give food to the needy in the short term but if they refuse to give up Voodoo, I’m not sure we would continue to support them in the long term because we wouldn’t want to perpetuate that practice. We equate it with witchcraft, which is contrary to the Gospel. » (Depuis le séisme, il existe une intensification du conflit spirituel entre le christianisme et le vodou. Nous voulons bien dans le court terme donner de la nourriture à ceux qui sont dans le besoin mais s’ils refusent d’abandonner le vodou, je doute que nous continuerons de les aider dans le long terme parce que nous ne voulons pas perpétuer cette pratique. Nous mettons sur le même pied vodou et sorcellerie, ce qui est contraire à l’Évangile.) (ma traduction).
En fait, il a toujours existé de longues périodes de conflit entre les religions chrétiennes en Haïti et les tenants du vodou. Durant la période coloniale, les autorités françaises interdirent les pratiques des religions traditionnelles des esclaves considérées par les colons comme des pratiques superstitieuses qu’il fallait éliminer à tout prix. Pour préserver leurs traditions religieuses, et suite au contact du catholicisme européen avec les valeurs religieuses et culturelles de différentes tribus africaines sur le sol haïtien, les esclaves africains créèrent ce que les anthropologues appellent un « syncrétisme religieux ». Selon l’anthropologue haïtien, Leslie Desmangles, professeur de religion à Trinity College dans le Connecticut, « on the basis of similarity, Catholic saints were identified with or « transfigured into » Vodou gods. » (The Faces of the Gods. Vodou and Roman Catholicism in Haiti, 1992: 8). “Thus, Ezili, the beautiful water goddess of love in Vodou, whose originals exist both in the African goddess of the same name in Whydah in Dahomey (or Benin) and in Oshun in Nigeria, becomes the Virgin Mary; Benin’s python god Damballah becomes Saint Patrick, because of the story of the triumph of Patrick over the snakes of Ireland in Catholic hagiology; Legba, the guardian of destiny who holds the keys to the doors of the underworld, becomes Saint Peter; and so forth.” (idem, p.10-11). (Ainsi, Ezili, la belle déesse de l’amour qui règne dans les eaux dont les originaux existent et chez les déesses africaines du même nom à Whydah au Dahomey (Bénin) et à Oshun au Nigeria, devient la Vierge Marie ; le dieu serpent du Bénin, Damballah devient Saint Patrick, en référence à l’histoire de la victoire de Patrick sur les serpents d’Irlande dans l’hagiographie catholique ; Legba, le gardien des destinées qui détient les clés des enfers, devient Saint Pierre ; et ainsi de suite) (ma traduction).
La plus grande manifestation de l’hostilité du clergé catholique romain contre les pratiques culturelles et religieuses du vodou se retrouve vers les années 1940 au cours de ce qui est connu dans l’histoire haïtienne comme les « campagnes anti-superstitieuses ». Durant ces campagnes, l’église catholique haïtienne soutenue par le gouvernement haïtien brûla et détruisit des quantités de « ounfò », péristyles et objets chers aux vodouisants dans un grand nombre de campagnes. Selon l’anthropologue Leslie Desmangles, « These campaigns have left indelebile marks on Haitian society, for they have resulted not only in the secretive nature of the religion, but also in Vodouisants’ ambivalence toward both religions. » (Ces campagnes ont laissé des marques indélébiles sur la société haïtienne car elles ont eu pour conséquence non seulement à établir la nature secrète de la religion, mais aussi à marquer une ambivalence des Vodouisants envers les deux religions) (ma traduction). Le grand romancier haïtien Jacques Stephen Alexis, situe l’histoire racontée dans un de ses plus beaux romans, Les arbres musiciens, durant la période de ces campagnes anti-superstitieuses.
Aujourd’hui, les temps ont quelque peu changé. Depuis plusieurs décennies, apparemment, ce n’est plus l’église catholique haïtienne qui s’acharne contre les vodouisants haïtiens. La menace vient des églises protestantes nord-américaines, bras religieux de la droite et de l’extrême droite américaine qui ne mâche pas ses mots, comme en témoignent les déclarations éhontées du pasteur Pat Robertson au sujet d’Haïti après le séisme destructeur du 12 janvier 2010. Dans la seconde partie de cette chronique, je montrerai comment les esprits sectaires des cultes protestants nord-américains risquent de provoquer une guerre de religion en Haïti.
Contacter Hugues St.Fort à : Hugo274@aol.com