Create Dangerously: The Immigrant Artist at Work
Par Edwidge Danticat
Princeton University Press, 2010.

L’oeuvre littéraire d’Edwidge Danticat, pour l’instant, est composée de trois romans, Breath, Eyes, Memory (1994), The Farming of Bones (1998), Behind the Mountains (2002) ; deux recueils d’histoires courtes Krik ? Krak! (1996) et The Dew Breaker (2004); une autobiographie Brother, I’m Dying (2007); un livre d’anthologie littéraire The Butterfly’s Way (2001) et une collection d’essais Create Dangerously: The Immigrant Artist at Work (2010). Danticat a aussi publié After The Dance: A Walk Through Carnival in Jacmel, Haiti (2002), Behind the Mountains (2002) et publiera au début de l’année prochaine un deuxième livre d’anthologie littéraire Haïti Noir. L’une des choses qui me fascine le plus chez Danticat, c’est sa passion créatrice pour Haïti. Danticat est l’enfant chéri de l’establishment littéraire américain et elle le mérite immensément. Mais elle ne cesse jamais de mettre Haïti au centre de son inspiration littéraire. Danticat, c’est « Haïti jusqu’au bout ». Chacun de ses textes soulève un concert d’admiration non seulement de la part de la grande presse américaine, mais aussi et surtout chez les érudits des plus grandes universités américaines. Jamais un écrivain d’origine haïtienne n’a été autant célébré et récompensé par la critique américaine. En 1995, son recueil de nouvelles Krik ? Krak ! a été finaliste pour le « National Book Award ». En 1996, le célèbre magazine littéraire britannique GRANTA lui a décerné le prix du « Best Young American Novelists » pour son premier grand texte littéraire Breath, Eyes, Memory ; en 1999, elle a reçu le « American Book Award » pour son roman The Farming of Bones » ; en 2005, le « Story Prize » lui a été attribué pour The Dew Breaker ; en 2007, son autobiographie Brother, I’m Dying lui a valu le « National Book Critics Circle Award » ; l’année suivante, en 2008, le même livre reçut le « Dayton Literary Peace Prize » et en 2009, il lui a été décerné ce qui est peut-être la récompense suprême : le « MacArthur Fellows Program Genius Grant » d’une valeur d’un demi-million de dollars.

Malgré ces sacres, Edwidge Danticat n’a jamais eu la grosse tête et sa simplicité légendaire n’a pris aucune ride. « Create Dangerously : the immigrant artist at work » qui est son plus récent texte littéraire révèle un écrivain au sommet de son art, mature, toujours passionnée mais plus lucide que jamais. Ce livre n’est pas un roman, ce n’est pas non plus une collection d’histoires courtes, ni un texte autobiographique comme l’inoubliable Brother, I’m Dying. « Create Dangerously » rassemble une série de conférences qu’elle a données à Princeton University en mars 2008 dans le cadre de la deuxième série de conférence annuelle Toni Morisson, la somptueuse écrivaine, professeure et femme de lettres américaine, Prix Nobel de littérature en 1993. Le titre et le sous-titre du livre énoncent la problématique de ce texte. Écrire peut faire courir des dangers mortels à certains écrivains qui, dans leur société d’origine, font face aux pratiques répressives du régime dictatorial sous lequel ils vivent. Mais l’écrivain n’est jamais seul dans cet acte de témoignage dont il ne peut se passer. Il/elle entraîne forcément avec lui / elle, le lecteur / la lectrice qui, tout aussi consciemment, tout aussi délibérément participe de cet acte de désobéissance sociale, d’atteinte à cette norme forcée, imposée par le pouvoir. Danticat écrit ceci: « Reading, like writing, under these conditions, is disobedience to a directive in which the reader, our Eve, already knows the possible consequences of eating that apple but takes a bold bite anyway. » (page10). (L’acte de lecture, comme l’acte d’écriture, dans ces conditions, représente une désobéissance à une directive où le lecteur/ la lectrice, notre Ève, connaît déjà les conséquences possibles de l’acte de manger cette pomme mais y prend un petit morceau malgré tout. » (Ma traduction).
Le texte qui ouvre le livre et lui donne son ton s’intitule justement « Create Dangerously : The Immigrant Artist at Work » Il raconte une exécution publique à Port-au-Prince le 12 novembre 1964, celle de deux Haïtiens, Marcel Numa et Louis Drouin, qui avaient échoué dans leur tentative de renverser la dictature de François Duvalier. Cet acte d’une audace sans pareille aux yeux du dictateur allait déclencher sa rage culminant dans cette punition publique extrême destinée à marquer les esprits qui se seraient permis de marcher sur les traces des deux rebelles. Edwidge Danticat n’était pas encore né le 12 novembre 1964 quand a eu lieu cette exécution publique qu’elle raconte avec des détails impressionnants. Mais ce point d’histoire, nous dit-elle, fait partie de ces mythes créateurs qui l’ont hantée et obsédée.
Elle se réfère en tout premier lieu au plus célèbre de tous, le mythe d’Adam et Ève, qui avaient désobéi à l’ordre émis par « Dieu » de ne pas manger la pomme la plus désirable du jardin d’Eden, désobéissance pour laquelle ils avaient été bannis d’Eden et condamnés à toutes sortes de peines, la plus douloureuse étant celle qui survient au moment de donner naissance. Malgré l’ensevelissement temporel dans lequel se perd ce mythe, Danticat montre son rapprochement urgent avec l’aventure sanglante de Marcel Numa et Louis Drouin qui sont morts en patriotes pour que d’autres Haïtiens puissent vivre. Elle montre aussi qu’ils étaient immigrants, comme elle, mais n’ont pas hésité à abandonner le confort de leurs existences américaines et se sont sacrifiés pour leur terre natale.
L’une des implications de cette exécution publique a été la suspicion qu’elle a fit peser sur l’acte de lire en général, suspicion qui conduisit des familles à bruler leurs bibliothèques quelque soit le contenu des livres qui y figuraient. Tout au long de cette histoire tout à fait officielle, Danticat accumule des références personnelles ou relatives à sa famille et à ses parents. C’est ce qu’on trouve aussi dans la majorité des autres onze essais contenus dans ce livre. J’ai aimé particulièrement l’essai intitulé « I am not a journalist » (p.41-58) et celui qui vient tout de suite après intitulé « Daughters of Memory ». Tous les deux discutent profondément d’une question fascinante : comment l’art (particulièrement l’art haïtien) se fait sous les dictatures. L’histoire d’Haïti est une histoire de tragédies au sens le plus profond du terme. Comment peut-on continuer à écrire malgré la pluie de désastres qui se sont acharnés sur ce morceau d’île ? L’œuvre d’Edwidge Danticat nous permet de comprendre ce paradoxe.

Contacter Hugues St. Fort à : Hugo274@aol.com

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